Je suis désolée, 2023

Dans «Méduse ?», le corps devient territoire de résistance. Il incarne une force vivante, traversée par la peur, la colère, la fragilité aussi. Il ne fuit pas : il affronte, absorbe, oppose sa présence à ce qui menace de l’effacer.

Sylvie Valem convoque ici la figure ambivalente de Méduse — à la fois femme redoutée, femme punie, et figure de pouvoir. Elle y puise une énergie trouble, une mémoire du féminin souvent dissimulée, refoulée. Le corps devient miroir, à la fois blessé et vibrant, entre effroi et beauté.

Des objets détournés — poudriers, miroir — viennent prolonger cette exploration du visible et de l’invisible. «Méduse ?» n’est pas une plainte : c’est un acte de transformation. Une manière de rendre à l’intime sa force symbolique, et au regard, sa complexité.

Information techniques :
8 Photographies argentiques (50,8 x 61cm) tirés sur papier baryté relevées à la peinture à l’huile - Zokin Gake Tirées par l’auteure.
10 poudriers chinés  (divers formats) et un 1 miroir rond (diamètre 26 cm) dont la glace est le support à la photographie argentique.

 


 

Je suis, poème écrit par l'artiste à l'issue de ce chapitre, en 2023.


J’avance, de la vase, oui de la vase. 
Je m’enlise, je suis aspirée, je m’enterre. 
Quelle est cette lutte, pourquoi combattre, contre qui ? 
Quel esprit me trahit ?

Mes jambes sont engluées dans une mare visqueuse, bouillonnante, 
Chaque pas est une ombre pesante, un naufrage, un vain sursaut,  
Et pourtant je vais.

Je m’écorche, j’arrache ma cuirasse
À l’intérieur, tout est mou, visqueux, en décomposition. 
Et pourtant je suis.

Si je touche du doigt… Si je m’enfonce…  Si ma main…
Si ça me happe… Si ça me recouvre. 
Et pourtant

Je veux penser, je veux agir, je veux être. 
Je suis immobile, je suis paralysée, 
Je respire encore. 
Je suis.

Une pluie chaude tombe sur moi, ce sont des larmes ruisselantes  comme des traînées de sang. 
Leur chaleur m’éveille, la douceur arrive, vient des profondeurs,  se faufile telle une caresse, puis, s’atténue, se retire, s’évapore. 
Et pourtant je veux.

Je ressens les sons étouffés de mon cœur, ils chuchotent, se traînent, se dissipent, s’atténuent, deviennent sourds et s’éteignent. 
Laisse-moi écouter, 
Laisse-moi errer, laisse-moi aller, laisse-moi divaguer, 
Laisse-moi respirer. 
J’espère.

Des êtres fantomatiques s’approchent, m’entourent, m’enserrent, près, trop près. Je suis étreinte, asphyxiée. 
Écartez-vous, je m’éteins.

Tu profères des "Jamais," des "Toujours." 
Je ressens des injonctions, des impossibles, des sentences. 
Seule ma mort donnera réalité à ces verdicts. 
Je suis entravée, 
Non, je lutte.

Écoute, écoute-moi. Je murmure. 
Entends mon faible souffle. 
Je vis, j’ai survécu, la douleur est passée. 
Attends-moi. Reste.

Come please. Ne viens pas, s’il te plaît. 
Laissez-moi seule dans mon marasme. 
Je me laisse aller doucement. 
J’entends dans mon corps des sons étouffés. 
Je vis.

J’ai peur de me briser, ma tête sans repos tourne, se retourne et sombre. 
Je suis dans une tornade, une voix intérieure me martèle : "Tu n’as aucun pouvoir. Tu n’es rien, arrête." 
Ça enfle, ça cogne, ça résonne. 
Je hurle.

Je suis incapable de voir, incapable de sentir. 
Mes sens sont morts, atrophiés. 
Je m’égare mais je suis.

Je bois, je m'engloutis dans l'eau, 
Pour me purifier jusqu’à me noyer. 
En moi, tout est mou et visqueux, en décomposition. 
Et pourtant, je suis.

Je veux vivre une apnée éternelle, 
Dormir, dormir, dormir...  

Un sang noir glisse dans mes veines, peine à progresser, mes rivières sont épuisées. 
Et pourtant, je suis.

Je dessine un sourire sur mon visage tel un Joker. 
La nuit est longue et le jour inexistant. 
Et pourtant, j’existe.

Et si la brume, et si le soir, et si la nuit. 
Et si j’étais.

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